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mercredi 23 décembre 2009

« Les Petits de la guenon », de Boubacar Boris Diop


Le singe séquestreur serait-il une figure de la littérature africaine ? Je ne le crois pas ; c’est pourtant la seconde fois, après Le Passé devant soi de Gilbert Gatore, que je le croise au cours de mes lectures récentes. Dans Les Petits de la guenon, de l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, il, ou plutôt « ils » car ils sont deux, donnent le titre au livre et retiennent en captivité Atou Seck, un vieil habitant d’un quartier ravagé par une guerre civile. Mais ceci n’est qu’une histoire dans l’histoire, une parabole sortie de l’imagination du véritable narrateur, Nguirane Faye, qui s’est créé un alter ago imaginaire le temps d’une longue digression intitulée « La fausse histoire de Ninki-Nanka ».

Car Nguirane Faye n’a jamais été séquestré par des singes. Tout juste ses petits-enfants Mbissine et Mbissane, arrivés de France avec leur mère au lendemain de la mort du fils de Nguirane, s’amusent-ils avec malice et une certaine tyrannie à uriner sur son tapis de prière. Et « La fausse histoire de Ninki-Nanka » n’est qu’un seul des sept « Carnets » que le vieillard, au soir de sa vie, a entrepris de rédiger à l’attention d’un autre petit-fils, son préféré, Badou, parti à l’étranger, on ne sait où, et dont il est sans nouvelles depuis.

Nguirane Faye a beaucoup de choses à raconter à Badou. La vie à Niarela, petit quartier populaire de Dakar : ses habitants, ses fous, ses on-dit, ses non-dits. L’histoire de leur ancêtre et de leur famille : ses légendes, ses mensonges. La cohabitation avec sa belle-fille, Yacine Ndiaye, dont, pas plus que Mbissine et Mbissane, il ne connaissait l’existence avant qu’elle arrive de Marseille, veuve peu éplorée, et s’installe chez lui. Et puis, bien sûr, cette « fausse histoire de Ninki-Nanka », où un dictateur du nom de Dibi-Dibi promet au peuple le « changement » – en wolof, « sopi » était le slogan de campagne d’Abdoulaye Wade en 2000 – tout en le méprisant royalement…

Beaucoup de désordre, beaucoup de métaphores, beaucoup de choses difficiles à palper dans ce livre formidablement mal foutu et, il faut le dire, quelque peu déroutant… mais dont il se dégage une certaine sensation de cohérence. Nguirane Faye passe du coq à l’âne mais, évidemment, Boubacar Boris Diop le fera retomber sur ses pattes, à la fin. Boubacar Boris Diop qu’on sent malgré tout très présent, qu’on entend souffler quelques digressions à l’oreille du narrateur, qu’on voit tailler la plume qu’une autre main plantera là où ça fait mal.

Les Petits de la guenon, j’aurais dû le préciser dès le début, sont la traduction en français, par Boubacar Boris Diop « himself », de Doomi Golo, roman écrit en wolof par le même Boubacar Boris Diop. Ecriture militante s’il en est, un peu dans la lignée de Sembène Ousmane dont les grévistes des Bouts de bois de Dieu refusaient de négocier en français ; d’ailleurs, qu’il s’agisse de l'épisode où un ancêtre de Nguirane Faye tente de convertir un village à l'islam, de l’histoire de la lutte sénégalaise avec frappe inventée par un Français, ou des réflexions sur le premier baiser sur la bouche échangé en Afrique, l’auteur nous rappelle combien l’influence d’une culture sur l’autre peut être insidieuse. C’est un des nombreux messages que contient le roman. Mais il y a aussi la dénonciation des dirigeants politiques corrompus, qui ont volé l’indépendance et séquestré la démocratie, quand le modèle de Nguirane Faye – et de Boubacar Boris Diop, on l’aura compris – reste Cheikh Anta Diop.

Enfin, plus que la figure du singe, c’est celle du fou qui hante ce roman. Un fou qui ira jusqu’à prendre le relais des « Carnets » de Nguirane Faye dans un récit plein de sagesses dont il faut tirer deux leçons : 1) Les fous ne sont pas toujours ceux que l’on croit. 2) Ceux qu'on ne croit pas fous devraient davantage écouter la part de folie du pays qu’ils sont censés diriger.

Les Petits de la guenon
de Boubacar Boris Diop
Philippe Rey, 2009
439 p., 19,50 euros


Lire aussi l’analyse qui est faite des Petits de la guenon par La Plume francophone.

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